De Michael Powell et Emerich Pressburger
Avec Roger Livesey, Deborah Kerr, Anton Walbrook
Durée :2h43
Séances Jeudi 13 Septembre à 20 heures et Dimanche 16 Septembre à 18 heures aux Cinéastes
CINE-CLUB Le Mans
Les Raisin de la Colère



Le récit libère une tension diffuse à l'occasion de cette simple question : comment Serge est-il tombé si bas et comment François peut-il le sauver ? Par la suite, dans une scène finale digne d'un épisode biblique, Chabrol tente de faire de François un symbole d'abnégation. En dépit d'un vent glacial, il cherche Serge pour l'avertir de l'accouchement de sa femme. En réalité, Chabrol ne donne que plus d'ampleur à une relation qui, traitée avec une mise en scène différente, serait celle d'un drame voire celle d'un film noir. La dramatisation confère au film une ampleur qui saisit le spectateur et l'ouvre au sens profond de l'histoire, bien plus que ne réussit à le faire une exposition brutale et abstraite à la Godard.

Ce dépouillement caractérise tous les éléments de la mise en scène, y compris la musique qui repose sur des mélodies traditionnelles dont la répétition accentue l'écoulement du temps entre les moments clés de l'histoire. Les acteurs, notamment Shishu Ryu, acteur fétiche d’Ozu, qui incarne ici le père des deux enfants, adoptent tous un jeu très minimaliste tant dans leurs affects que dans leurs actions. On est loin du jeu exalté d’un Toshiro Mifune chez Kurosawa, ou du jeu excessif des acteurs de certains films de Mizoguchi. Cette humilité permet de créer des personnages « type », dans lesquels le spectateur se reconnaît aisément.L'œuvre du cinéaste repose aussi sur des ruptures visuelles originales, qui introduisent les divers lieux de la narration. Ainsi à plusieurs reprises, les scènes d’intérieur de Bonjour sont suivies de plans sur la ville qui insensiblement entraînent le spectateur chez un autre personnage. Cet effet stylistique est particulièrement perceptible lorsqu’on quitte le village pour pénétrer dans l’immeuble du professeur d’anglais. Ozu introduit ce lieu en quelques plans fixes associés de manière abstraite par des rimes visuelles. C'est ainsi qu'apparaît l'approche poétique d'un cinéaste soucieux de restituer les liens entre les instants les plus infimes, les plus éphémères et les bouleversements les plus marquants. Au niveau scénaristique, c’est la bouderie des enfants qui suscite le commérage sur leur mère, les voisines sont persuadées qu'elle est à l'origine d'un tel comportement.
Ozu parle de la société japonaise et surtout du rapport entre des générations qui ne parviennent plus à se comprendre. Dans Bonjour, la chronique sociale adopte le ton de la comédie, peut être parce que le fossé générationnel oppose des enfants très jeunes à leurs parents, et non des adultes à leurs grands-parents, comme c'est le cas dans le Goût du Saké. Les causes de dispute sont anodines ; elles reposent essentiellement sur la question de l'achat d'une télévision que les parents considèrent comme facteur d’imbécillité. Mais cette phobie de la télévision est autant une phobie de l’Amérique qu’une phobie de la technologie, une suspicion de colonisation technologique. Il est à ce titre intéressant de voir comment Ozu oppose les habitats traditionnels aux immeubles modernes aux couloirs sombres et aux peintures délavées. Il montre aussi un couple vivant à l’occidentale, victime des commérages de l’ensemble du village. Rien ne semble pouvoir retarder la lente mutation d’un Japon, dont même les éléments les plus traditionnels sont amenés à s’adapter, tels ces matchs de sumo retransmis à la télévision. D’où l’air résigné de la plupart des adultes de Bonjour, qui contraste avec l’énergie des enfants.
Le conflit repose également sur la pertinence des traditions que les jeunes remettent en cause. Les rites de politesse ou les banalités météorologiques échangés par les adultes leur semble pure perte de temps, telle la scène finale où le professeur d’anglais, à côté de celle qu’il aime, ne parvient pas à lui parler d’autre chose que de la météo. L’effet comique du film repose sur l’obsolescence d’un mode de vie, auquel les plus jeunes, influencés par le modèle occidental, sont réfractaires. Qu'on s'en réjouisse ou qu'on s'en attriste, les enfants par leur grève de la parole vont finir par gagner la télévision de leur rêve !
Vincent Lesage
La Route du Tabac


