Le Beau Serge
De Claude Chabrol
Avec Jean Claude Brialy, Gérard Blain, Bernadette Laffont
Durée : 1h38
Séance le jeudi 9 Février à 19h15 et le dimance 12 Février à 19h15 aux Cinéastes
Tourné en 1959, Le Beau Serge, troisième film de Chabrol, est souvent considéré comme l'un des films fondateurs de la Nouvelle Vague, tant il a des allures de Manifeste. Des décors naturels, un jeu d'acteur minimaliste prétendu réaliste (aujourd'hui daté) ou encore ce désir d'une totale liberté technique - comme dans ce long travelling initial où deux personnages déclament la scène d'exposition - posent les bases sur lesquelles reposera l'essentiel du cinéma français à partir de 1960. Pour autant, deux choses distinguent Le Beau Serge de la grande majorité des œuvres de la Nouvelle Vague : l'efficacité de l'intrigue et le milieu qu'il décrit.
Tout d'abord, le film semble adopter la conception de la narration selon la Nouvelle Vague : un récit qui avance à l'aveugle, sans destination précise et semble se construire selon le rythme des interventions de chaque protagoniste, comme une improvisation de jazz. Cependant Chabrol (qui mettra par la suite en image des récits plus conventionnels) ne peut s'empêcher de construire son récit autour deux personnages : François, jeune villageois de retour de la Capitale et Serge, paysan alcoolique et bourru. Les digressions du récit sont comme autant d'étapes dans l'appréhension de leur relation. Les scènes de séduction entre François et la belle-sœur de Serge révèlent l'ambigüité de cette relation. François est-il vraiment crédible dans le rôle du grand rédempteur ?Le récit libère une tension diffuse à l'occasion de cette simple question : comment Serge est-il tombé si bas et comment François peut-il le sauver ? Par la suite, dans une scène finale digne d'un épisode biblique, Chabrol tente de faire de François un symbole d'abnégation. En dépit d'un vent glacial, il cherche Serge pour l'avertir de l'accouchement de sa femme. En réalité, Chabrol ne donne que plus d'ampleur à une relation qui, traitée avec une mise en scène différente, serait celle d'un drame voire celle d'un film noir. La dramatisation confère au film une ampleur qui saisit le spectateur et l'ouvre au sens profond de l'histoire, bien plus que ne réussit à le faire une exposition brutale et abstraite à la Godard.
Pour le reste, Le Beau Serge ressemble étrangement aux Redneck movies américains, lorsque le Nord civilisateur se retrouve confronté au Sud bête et méchant. Cette vision, nuancée au fur et à mesure de l'histoire dans la plupart des bons films du genre, est tout à fait caractéristique du film. Soit l'opposition entre Jean Claude Brialy alias François, silhouette élancée au visage navré et Gérard Blain alias Serge, personnage trapu imprévisible, oscillant constamment entre nonchalance, brutalité et tristesse hystérique. Les villageois de la Creuse se méfient de celui qui a vécu dans une grande ville après avoir été des leurs. Le film se distingue ainsi, non sans une certaine ironie, des autres films de la Nouvelle Vague -tels Les 400 coups ou A Bout de Souffle- qui à vouloir capter l'essence du monde captaient surtout celle de Paris. La démarche de Chabrol s'apparente à celle d'un documentariste, tant il brosse le tableau d'un monde rural éloigné du dynamisme économique de l'aube des années 60. Loin de l'étourderie effrénée de certains citadins, la vie des paysans oscille entre le travail et l'ennui, compensé par le vice et l'alcool. Le noir et blanc aux multiples nuances grisâtres et le tournage en décors naturels : un environnement à la fois vide et comme souillé par la banalité du quotidien, prennent alors tout leur sens. La joie même semble corrompue : lors du bal, seul événement qui rythme la vie du village, le temps se mesure par une succession de plans en fondu montrant l'empilement des cadavres de bouteilles laissés par les musiciens.
Le spectateur ne peut rester indifférent à une telle pesanteur, aux doutes des personnages sur le sens même de l'existence. D'autant qu'au-delà de sa réflexion désabusée sur la vie de paysan, c'est peut-être de la vie tout court que Serge se méfie ? Quant à François, ses tentatives désespérées de distiller un peu d'humanité et de moralité échouent. Il s'autodétruit physiquement jusque dans un final ambigu où le bonheur semble invariablement entraîner le malheur. Et tandis qu'il se transforme en martyr et en icône chrétienne, le village de la Creuse devient l'illustration de la condition humaine dans son intégralité.
Le parallélisme constant que Chabrol instaure entre singulier et universel trouve sa plus belle expression dans un effet de montage. Les chutes de François affaibli dans la neige sont perçues comme la cause des gémissements de la femme de Serge, alors en train d'accoucher. La proximité créée par le montage entre l'agonie et les douleurs l'enfantement instaure une forme de fatalité et d'éternel recommencement ; celui qui va naître est voué à souffrir. Et la musique finale, particulièrement lugubre en un moment qui pourrait être source d'espoir, n'est pas là pour nous en dissuader. Tout effort, aussi louable soit-il, semble vain… Reste la beauté du geste de François et celle du film.
Le parallélisme constant que Chabrol instaure entre singulier et universel trouve sa plus belle expression dans un effet de montage. Les chutes de François affaibli dans la neige sont perçues comme la cause des gémissements de la femme de Serge, alors en train d'accoucher. La proximité créée par le montage entre l'agonie et les douleurs l'enfantement instaure une forme de fatalité et d'éternel recommencement ; celui qui va naître est voué à souffrir. Et la musique finale, particulièrement lugubre en un moment qui pourrait être source d'espoir, n'est pas là pour nous en dissuader. Tout effort, aussi louable soit-il, semble vain… Reste la beauté du geste de François et celle du film.
Vincent Lesage
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