mardi 17 mai 2011

Du Silence et des Ombres De Robert Mulligan

Du Silence et des Ombres
De Robert Mulligan

Avec Gregory Peck,
Robert Duvall,
Mary Badham

jeudi 19 mai 2011 19h00

dimanche 22 mai 2011 19h30



durée du film: 2h09




Du Silence et des Ombres anticipe dès 1962 le virage que va accomplir le cinéma américain dix ans plus tard. De la même façon que certains films phares du Nouvel Hollywood : Bonny And Clyde d'Arthur Penn ou Easy Rider de Dennis Hopper, il refuse les conventions classiques de narration où toute une histoire converge vers un point de fuite clairement défini. Il place également au centre de son cheminement narratif un constat social, celui d'une Amérique profonde enlisée dans la crise économique et engoncée dans un racisme profond ; l'action se déroule en 1930.

Ce n'est pas le moindre mérite du film que de placer la totalité de son intrigue dans cette Amérique reculée et de faire de ce décor un élément narratif à part entière. Lors de la sortie du film, l'économie américaine est affaiblie par la guerre du Vietnam et les mouvements contestataires ethniques, notamment celui des Black Panthers porté par Malcolm X à son apogée, sont stigmatisés par la société WASP. La société des années 30 évoquée dans le film, trouve ainsi un écho fort dans celle des années 60.



Mulligan entreprend une grande relecture de l'ensemble des mythes fondateurs des Etats-Unis. La superbe scène dans laquelle Atticus, héros de l'histoire incarné par un Gregory Peck d'une dignité quasi hiératique, refuse de laisser la foule lyncher le suspect noir, fait irrésistiblement penser aux films de John Ford, dans la manière qu'il a de montrer que le courage de quelques uns peut fonder les bases d'une société nouvelle. Le cadre oppose alors l'individu qu'il magnifie en plan serré, à la foule qu'il uniformise en plan large. De la même façon, le final rappelle le célèbre adage Fordien issu de l'Homme qui tua Liberty Valance : "Si la légende est plus belle que l'histoire, imprimez la légende". Mais là où Ford, et avec lui le classicisme Hollywoodien dont il fut l'un des représentants les plus prestigieux, voit dans le mythe un moyen d'organiser une société juste, Mulligan constate qu'il ne conduit qu'à la passivité voire à l'injustice. Au nom de la légende, la dignité blanche ne peut être remise en cause ; cette seule affirmation justifie la condamnation d'un innocent noir. A ce titre, la scène du procès est révélatrice. La plaidoirie du héros est déclamée en plans rapprochés ; la caméra accompagne les mouvements de Gregory Peck qui semble totalement maitriser la situation, d'autant que le spectateur des années 70 est convaincu par la teneur de ce propos. Mais soudain la caméra recule, révélant une foule d'hommes blancs regardant un Atticus minuscule qui s'agite désespérément tandis que ses propos se perdent dans la salle. En 1930, l'Amérique est encore celle du western qui considère ses préjugés comme des évidences seules capables de garantir l'ordre.

Le film est novateur en cela qu'il est narré en voix off par Scout, la fille du personnage principal. De nombreuses scènes sont filmées en vues subjectives ou selon des angles en contre-plongée qui suggèrent la vision d'une enfant. Certaines scènes traduisent une interprétation fantasmatique de Scout ; la caméra qui filme à sa hauteur le corps à corps dans la forêt, sous un éclairage pâle quasi lunaire, transforme les adultes en géants de contes de fées, trop grands pour être entièrement cadrés. La perception qu'a le spectateur est celle d'un être innocent.

La réponse au problème posé par le film vient davantage de sa forme que de son propos. Il faut reconsidérer les choses sous un reagrd neuf, pas encore corrompu par des années de tradition qui engendrent les préjugés racistes. C'est à cette condition que les injustices apparaissent scandaleuses. Ce regard, le cinéma américain des années 70 l'adoptera davantage sous un œil critique qu'enfantin. Le film est ainsi le médiateur entre deux époques du cinéma américain, la nouvelle jetant un regard suspicieux sur l'ancienne. Il est d'ailleurs intéressant de constater qui le producteur du film, Alan J. Pakula, sera un réalisateur phare de la nouvelle période, notamment en tournant Les hommes du Président qui tente de démystifier les coulisses du pouvoir.




Il est aussi intéressant de voir la manière dont Mulligan symbolise l'incapacité de l'Amérique à reconnaître ses fautes. L'handicapé Boo est considéré comme dangereux car il est violent. L'est -il plus que les autres ? Non. Même les enfants, obsédés par les armes à feu, semblent fascinés par la violence. Mais la violence de Boo est inacceptable car à même de se déchaîner contre n'importe qui. Mulligan joue avec le spectateur, lui cachant Boo, l'enfermant dans une maison qu'il filme sous-exposée. Tout le film durant, il est invisible. Par le dialogue, le réalisateur fait miroiter au spectateur un être monstrueux et laisse entrevoir son ombre déformée par la lumière, selon un procédé expressionniste bien connu. Lors de sa première apparition, Boo est simplement caché derrière une porte, il n'entre pas dans le cadre mais est dissimulé dans la profondeur de champ, comme s'il avait toujours été là. Joué par Robert Duvall, il est à la fois beau et triste. Il incarne l'aspect irrationnel de la violence américaine, celui que la population veut oublier mais qui revient toujours à elle. Dans le plan final, lorsque la narratrice prend par la main cette Amérique malade, le spectateur se met à espérer des jours meilleurs.


Vincent LESAGE