vendredi 21 octobre 2011

Electra Glide in Blue de James William Guercio



Electra glide in blue
De James William Guercio
Avec Robert Blake, Billy Green Bush, Mitch Ryan
Durée : 1h54
Séance le
dimanche 23 octobre et le jeudi 27 au Ciné-Poche en partenariat avec le Festival Seconde Zone








La transition entre le cinéma hollywoodien classique et le cinéma américain des années 70 s'est d'abord faite par la remise en cause du schéma narratif. Contrairement à un mouvement comme la Nouvelle Vague, qui a essayé dès ses films "manifestes" - tels que Les 400 Coups ou A bout de souffle - de rompre avec l'esthétique des films classiques, le cinéma américain a repris ces codes esthétiques pour mieux imprégner le récit et l'esprit du spectateur.
Ainsi l'unique film de Guercio, tourné en 1971, s'épanouit dans un cadre visuel qui n'est pas sans rappeler le cinéma de John Ford. Toutes les scènes extérieures,
filmées en Cinémascope, renvoient aux plans de La Prisonnière du Désert, avec ces couleurs pastel qui évoquent la mélancolie émanant d'un lieu tel que Monument Valley. Mais tandis que Ford présentait un homme en harmonie avec ce lieu mythique témoin des grandes heures de la Conquête de l'Ouest, Guercio en suggère l'écrasement dans un environnement démesuré.
Il isole les personnages dans le cadre et étire la durée des plans jusqu'à rendre le vide perceptible. Ce vide physique n'est pas sans lien avec la perte des repères qui dans le cinéma classique, structuraient l'histoire et permettaient une relative clarté des enjeux. Alors que l'Amérique a perdu ses ennemis d'hier -les indiens et les Russes- contre qui désormais le héros du film peut-il lutter pour assurer sa promotion dans la hiérarchie des services de la Police ? Le cinéma des années 70 exprime le malaise du peuple américain qui désormais se trouve aux prises avec des ennemis de "l'intérieur" ; Kennedy a été assassiné par un américain comme les autres et la guerre du Vietnam divise l'opinion. Le pays est ainsi condamné à une forme d'errance morale. Le duel entre l'ordre et le chaos laisse la place à de simples conflits d'intérêts. Il n'est plus question que de fortune, de conquête féminine, de promotion sociale ou encore d'honorabilité. La peinture du mouvement hippie est elle-même très nuancée, ce qui a valu à Guercio d'être taxé de fasciste. Il renforce cette idée d'errance en éludant totalement l'aspect policier de l'intrigue. Les enquêtes n'aboutissent pas grâce à la perspicacité des policiers ; les solutions viennent d'elles-mêmes. Quant aux personnages "acceptables" ils se révèlent souvent à l'opposé de l'opinion favorable
qu'en a le spectateur, et la souillure atteint même les morts. Cette opposition cinéma classique - cinéma des années 70, trouve son aboutissement dans le contraste visuel entre les scènes d'extérieur et d'intérieur. Guercio était en conflit avec son chef opérateur qui désirait un rendu moins esthétisant et plus réaliste. On doit à ce dernier toutes les scènes d'intérieur dans un style nerveux ; nervosité du montage et éclairage assombri, traduisant à merveille l'ambiguïté de certains personnages. La figure du mentor, sacro sainte figure du western, se transforme au détour d'une scène de bar en une figure paternelle corrompue qui menace la figure féminine désirée. Ce genre de considération psychanalytique va totalement à l'encontre du modèle familial exalté par l'American Way Of life et reflète bien le trouble qui s'empare de l'Amérique.
Ces contradictions créent la force dramatique du film, d'autant qu'elles s'incarnent toutes dans le personnage principal, un homme désireux de s'élever socialement sans jamais enfreindre la morale. Une des premières scènes le montre à renfort de gros plans fétichistes se parer de tous les attributs qui le font ressembler à un shérif : l'étoile, l'arme, le casque en guise de chapeau. Mais cette scène est suivie d'un travelling latéral qui passe en revue une rangée de policiers en uniforme. Le personnage principal s'en distingue uniquement par sa petite taille, ce qui provoque une rupture dans le travelling. En jouant ainsi sur la taille du personnage le film exprime la relative incompatibilité entre pouvoir et morale. L'uniformité des personnages suggère un ordre policier totalement désincarné, et qui ceux qui tentent de s'illustrer par un quelconque moralisme sont irrémédiablement rabaissés. Le policier n'est plus un individu bienveillant mais un homme à qui l'on demande de ne se pas se faire remarquer. Mais paradoxalement, la petite taille du personnage principal lui permet de se distinguer. Se marginaliser pour vivre, tel semble être le message du film. De même que les buttes de Monument Valley symbolisent une certaine grandeur de l'Amérique par-delà une corruption généralisée, le personnage principal utilise le prestige de son uniforme comme garant d'une relative moralité.
Pour mieux illustrer cette fragilité de la morale, le film semble s'étourdir dans le mouvement. Mouvement ironique de la musique qui dédramatise sans cesse le scénario, mouvement des courses poursuites qui crée l'illusion d'une progression de l'intrigue, mouvement des motos que la caméra n'a de cesse de filmer sous tous les angles comme si elles incarnaient la seule chose inamovible de ce monde, que leur vitesse faisait d'elles le seul refuge du film. L'ami du personnage principal n'a d'ailleurs pour seule ambition que posséder une moto toujours plus puissante. Le mouvement étourdissant ne fait alors plus qu'un avec la frénésie consumériste.
Lors du plan final considéré comme culte par nombre d'historiens du cinéma, ce mouvement qui semble soulager la conscience du personnage principal, signifie son insignifiance sociale et plus encore l'absurdité de son existence ; il disparaît progressivement de l'écran. Désormais, les héros seraient-ils anonymes et condamnés à se fondre dans le décor d'un passé mythifié ?
Vincent Lesage