lundi 18 avril 2011

L'assassin habite au 21 d'Henri-Georges Clouzot

L'assassin habite au 21 D'Henri-Georges Clouzot
Avec Pierre Fresnay
et Suzy Delair

jeudi 21 avril 2011 20h00
dimanche 24 avril 2011 18h00

durée du film: 1h24





Premier film de Clouzot, L'assassin habite au 21 illustre parfaitement la volonté du cinéaste de faire de chacune de ses œuvres un tableau social et artistique de la France qu'il côtoie. Les constats qu'il en tire ont tantôt été pour lui source de gloire - c'est le cas avec Quai des orfèvres où il expose au grand jour les rouages d'un système judicaire particulièrement brutal - tantôt source d'exclusion du paysage cinématographique français - c'est le cas avec Le Corbeau qui en 1942, dresse le portait d'une France volontiers délatrice. Plus tard, alors qu'il tente dans La Vérité de suggérer la vacuité de la recherche du bonheur tel que la jeunesse l'imaginait, il s'attire les foudres critiques d'une Nouvelle Vague toute puissante. A son époque, L'assassin habite au 21 fait déjà preuve d'une remarquable sévérité à l'égard des institutions civiles et du peuple. La police s'y informe par le biais d'indicateurs véreux, pratique des interrogatoires d'une éthique plus que discutable et cherche déjà à "faire du chiffre"! Le peuple est quant à lui représenté, toutes classe sociales confondues, par les locataires de la pension du 21. Ces braves gens sont tous animés par des intérêts divergents qui les conduisent à se mépriser. Seuls l'argent ou le souci de sécurité les amènent à surmonter leurs différences. Tous ont aussi une histoire qu'ils essaient de cacher, mais qui remonte invariablement à la surface et finit par révéler leur véritable nature, comme si les cadavres qui s'accumulent contraignaient à exhumer le passé. L'inspecteur Wens et sa femme Milou, duo principal de cette histoire, adoptent eux-mêmes une attitude contestable, dissimulant leur fonction de représentants de l'ordre pour accéder plus facilement à la vérité. Toute sa vie durant, Clouzot a été hanté par le caractère diffus du mal, l'aisance avec laquelle il se cache et se propage avant de provoquer la mort. D'où l'importance du thème du travestissement, évoqué par le déguisement de prêtre de Wens ou les ridicules costumes hindouistes du fakir Lallah Poor. D'où cette application à filmer des rues grisâtres, dont le faible éclairage rend perceptible l'humidité ambiante et instaure des zones d'ombre où le mal trouve refuge.L'incapacité à identifier le mal finit par générer une paranoïa qui multiplie les arrestations erronées et provoque des réactions de défense illégitimes, comme dans la scène où Milou assomme son mari par méprise. La paranoïa est d'ailleurs parfaitement illustrée, lorsque Wens, désespéré de ne trouver le coupable, jette un regard sur les objets qui l'entourent et résout l'énigme du meurtre en une suite de plans en raccord regard reliés en panoramique. Le rythme est alors si rapide que le spectateur comprend l'étendue de la frénésie de Wens. La force du cinéma de Clouzot tient aussi à sa manière de plonger le spectateur dans le film. Il emploie des mécanismes de suspens qui annoncent ceux employés plus tard par le cinéma d'horreur. Le long plan en vues subjectives de L'assassin habite au 21, place le spectateur dans le rôle du tueur passant à l'acte et préfigure ainsi le plan d'ouverture d'Halloween de John Carpenter. Avec ce type de plan, le spectateur s'identifie physiquement au meurtrier et en côtoie l'ambigüité. Pour Clouzot comme pour Carpenter, nous sommes tous des meurtriers en puissance. Et chaque fois le mal est proche, l'assassin rôde "derrière nous" mais il reste invisible. Comme si au fond, l'apparence du mal ne nous révélait rien et qu'il fallait pour le repérer et le comprendre déchiffrer préalablement le mal qui est en nous. Les scénarios de Clouzot trouvent cependant en l'amour le seul échappatoire possible. Il est d'ailleurs extrêmement touchant de voir ce cinéaste apparemment convaincu que le mal gangrène le monde, introduire dans chacun de ses films l'amour le plus profond comme moyen d'évasion, de salvation voire de rédemption. Le cinéma de Clouzot s'ancre aussi dans la réalité culturelle de l'époque. Il fait partie de ces cinéastes de "genre" qui tentent de reprendre à leur compte les codes d'œuvres appréciées du public en leur ajoutant une incontestable dimension artistique. L'assassin habite au 21, par le jeu maniéré et outrancier de ses acteurs, s'intègre dans une longue tradition de théâtre de Boulevard, qui permettait au spectateur d'identifier immédiatement les personnages.
Suzy Delair, par ses costumes, sa voix de chanteuse de cabaret (ce qu'elle est d'ailleurs dans le film), et ses postures vulgaires, en est l'exemple même. Le spectateur la rattache immédiatement à une France populaire, sympathique, dévouée, mais peu finaude et naïve. Le côté excessif des personnages dédramatise aussi l'histoire en la déréalisant. Pierre Fresnay, qui incarne un élégant inspecteur Wens à la silhouette mince et élancée, à la posture rigide, et dont le sens de la réplique fait mouche, évoque quant à lui toute la littérature policière populaire et notamment le fameux Sherlock Holmes. La structure du film, qui fonctionne selon le schéma indice - enquête - action, évoque d'ailleurs le principe de cette littérature, qui aime à multiplier les fausses pistes afin d'invalider les actions qu'elles suscitent et stimuler l'attente du spectateur. A ces aspects populaires, Clouzot lie un sens du jeu d'ombres et du hors champ proche de l'expressionnisme allemand, qui place en permanence le spectateur face à un assassin aussi proche qu'invisible. Il faut aussi ajouter l'agilité de la caméra, rare dans le cinéma populaire de l'époque qui prône le statisme du cadre. C'est probablement dans cette balance constante entre une réflexion sur l'omniprésence du mal et une enquête policière montée comme un vaudeville, entre une mise en scène moderne qui évoque l'œuvre de cinéastes postérieurs et un scénario ancré dans la tradition populaire, que se trouve l'originalité du cinéma de Clouzot. Vincent Lesage