mercredi 12 septembre 2012

Colonel Blimp de Michael Powell et Emerich Pressburger


Colonel Blimp
De Michael Powell et Emerich Pressburger
Avec Roger Livesey, Deborah Kerr, Anton Walbrook
Durée :2h43
Séances  Jeudi 13 Septembre à 20 heures et Dimanche 16 Septembre à 18 heures aux Cinéastes

 Colonel Blimp doit beaucoup à la renommée du studio indépendant Archer Production fondé par Powell et Pressburger. Qui d'autre en 1943, en pleine Seconde Guerre Mondiale, aurait eu le courage de financer un film si ambigu sur les rapports germano-britanniques ? La réputation de ce studio financeur de plusieurs films de propagande à succès (qui rétrospectivement apparaissent particulièrement nuancés) tel que le 49ème Parallèle, était évidente.C'est donc sous le regard bienveillant de Churchill que naît le projet de Colonel Blimp. Mais à la lecture du scénario, l'homme politique s'offusque pour bien des raisons. La première -et avouée- serait liée à l'image peu flatteuse que le film donne de l'armée, composée pour part de jeunes blancs becs fascinés par les méthodes de combat prisées des nazis et pour part de vieilles "badernes", surnom associé au  Colonel Blimp dans le titre français. Ce dernier, vétéran des guerres coloniales, s'avère dépassé par la radicalisation du conflit. Churchill tente alors de faire capoter le projet ; outre diverses pressions, il refuse de libérer de ses obligations militaires auprès de la Royal Air Force, l'acteur Laurence Olivier censé interpréter le rôle principal
 
Powell, véritable réalisateur du film (Pressburger se cantonnant au scénario), utilise le technicolor pour créer un style pictural qui confine le récit dans une ambiance victorienne, charmante et désuète, à l'image de son personnage principal. Pourtant, l'action se déroule sur près de soixante ans. Blimp reste figé dans la posture des officiers de ses débuts de carrière, profondément attachés aux valeurs de courage, de professionnalisme et d'honneur des militaires du XIXème, qui limitent l'étendue et la violence des guerres. Dès qu'il est transporté sur les lieux de la Première Guerre Mondiale, il est immédiatement anachronique, incapable de s'adapter à la totalisation du conflit et à sa radicale brutalisation. Plongés dans la haine ambiante de l'entre-deux guerres, puis dans l'horreur de la Seconde Guerre Mondiale, il s'avère complètement dépassé. D'où un double vieillissement du personnage, à la fois temporel et moral. Les rides de son visage sont comme autant de coups de couteaux portés aux valeurs en lesquelles il croît. Si le film est particulièrement subversif, c'est parce qu'il affiche une réalité que masque la propagande : les deux camps s'affrontent désormais dans une guerre totale, qui n'oppose plus seulement des armées mais bien des nations.

 
D'abord picaresque et comique, le ton du film se fait dramatique avant d'adopter un cynisme de farce. Mais jamais il n'abandonne son ambiance onirique, celle de l'apparition de Deborah Kerr sous l'identité de trois personnages, celle d'un couvent radieux au milieu d'un champ de ruines, celle d'une maquette de ville enneigée qui se substitue à un fatidique duel dont la caméra se désintéresse comme par enchantement en passant à travers le toit, celle des trophées de chasse qui comme par magie s'accrochent au mur au fur et à mesure du temps qui passe. Autant de touches, qui dédramatisent l'histoire et suggèrent les efforts du personnage principal pour accepter l'avènement d'une nouvelle époque. Quitte à la déréaliser, il s'obstine à y discerner les traits du bon vieux temps. L'amour de jeunesse qu'il ne peut oublier, cette figure d'une femme radieuse qui a scellé l'amitié de deux officiers anglais et allemand en dépit des conflits d'Etats, est aussi à voir sous cet angle d'un idéal perdu.

L'amitié entre les deux officiers nuance la peinture des relations germano-britanniques. Tandis que les Anglais assimilent volontiers le peuple ennemi à un peuple de Nazis - thèse qui permet de justifier les bombardements en Allemagne - le film présente un officier allemand désabusé. Theo Kretschmar-Schuldorff qui fut un patriote acharné lors de la Première Guerre Mondiale, désavoue Hitler et tous ceux qui le soutiennent. Dans un long plan séquence, lorsqu'il demande le statut de réfugié, il est d'abord filmé en un plan large qui l'oppose aux autorités britanniques, puis la caméra se rapproche progressivement de lui. Reste alors en gros plan un homme humble qui raconte sa vie et sollicite une aide.
 
Cette vision nuancée du peuple allemand va de pair avec la dénonciation de l'outrancière propagande britannique visant à dénigrer l'Allemagne lors de la Première Guerre Mondiale. Propagande illustrée par une succession de plans sur des trophées de chasse, auxquels vient s'ajouter un casque allemand, comme si le soldat ennemi n'était qu'un animal parmi d'autres. L'audace du réalisateur culmine probablement dans la critique des interrogatoires menés sur le front par les Anglais et auxquels Blimp refuse de recourir quitte à perdre la guerre.

Pour compréhensibles qu'ils soient, ces interrogatoires n'en prolongent pas moins le processus de brutalisation du conflit armé, brutalisation qui semble vieillir le Colonel. Et au travers de Blimp, c'est l'Angleterre tout entière qui vieillit, s'éloignant des querelles européennes du 19ème, pour se confronter aux totalitarismes du 20ème. Contre eux, la victoire ne sera possible qu'en sacrifiant ce qui lui reste de ses principes d'antan.
 
Vincent Lesage