jeudi 24 mars 2011

LES MONTRES de Dino Risi


Les Monstres

De Dino Risi



Avec Ugo Tognazzi
et Vittorio Gassman

jeudi 24 mars 2011 19h45
dimanche 27 mars 2011 17h45

durée du film: 1h55


L'âge d'or du cinéma de genre italien a commencé dans les années 1960 et a vu naître une génération de cinéastes qui ont consacré leurs œuvres à un registre en particulier. Ils ont essayé d'explorer le genre auquel ils appartenaient jusqu'à en briser les conventions tant narratives que formelles. Certains ont préféré consacrer leur carrière à une exploration des méandres esthétiques qui régissaient traditionnellement leur cinéma de prédilection, s'enfonçant dans une abstraction qui éloignait leurs films d'une dimension sociale immédiatement accessible pour le public. Ce fut le cas du "Spaghetti", relecture transalpine du western, avec les films de Leone et Corbucci, du "Giallo", genre côtoyant le policier à la Hitchcock et le fantastique, avec les œuvres d'Argento, de Bava ou de Fulci, ou encore du "Peplum".

La comédie italienne dont Dino Risi est le représentant le plus célèbre, fait exception à cette sophistication visuelle. D'abord parce qu'elle s'ancre dans la réalité sociale italienne dont elle tente de décrire les dérives sur un ton cynique, ensuite parce qu'elle a toujours privilégié le fond à la forme, ce qui a valu à ses cinéastes d'être qualifiés de faiseurs plutôt que d'auteurs. Cette démarche trouve sans doute son origine dans le fait que la comédie italienne n'est pas la relecture directe d'un genre d'origine américaine. Elle n'a donc pas eu besoin de s'aventurer aussi loin dans une abstraction formelle qui avait aussi pour but de dissimuler des codes narratifs déjà connus ; ses codes narratifs elle les a créés.

La comédie italienne a toujours essayé de placer le spectateur dans un état confus d'hilarité et de gêne. Pour cela elle le plonge dans un scénario comique, parmi des personnages exubérants -beaucoup trop pour être crédibles- et suscite un rire enthousiaste. Puis en guise de chute, le scénario prend un recul sarcastique : le spectateur prend conscience que les monstres à l'écran ne sont pas si éloignés de lui... Dans le premier sketch du film L'educazione sentimentale, Risi présente un père insouciant qui inculque à son fils toutes les transgressions possibles de la loi, jusqu'au jour où la une d'un journal lui révèle que son fils a "mal tourné". Par le journal, l'aventure entre dans le quotidien. Et les pieds de nez à la loi ou à la bienséance qui ont amusé le spectateur, prennent subitement un tour tragique. La honte le gagne tandis qu'il imagine les avocats plaidant les circonstances atténuantes. Ce basculement constant du particulier au général explique l'effet si particulier que suscitent les films de Risi.
Les monstres est représentatif de la comédie italienne et tout particulièrement de la vision qu'en a Risi. La structure narrative du film -divisé en une succession de sketchs- est véritablement audacieuse et originale pour l'époque. Lors d'un entretien avec le critique Jean Baptiste Thoret, le cinéaste a déclaré : " Pourquoi m’obliger à raconter l’histoire de tel personnage sur des pages et des pages quand je peux fixer ce qui m’intéresse chez lui dans un moment unique. Un moment qui révèle tout et qui est pour lui le moment le plus intéressant. C’est de là que vient mon goût des sketchs"'. Ainsi, la brièveté du sketch permet au cinéaste de ne pas conférer à ses personnages une personnalité trop forte qui les éloignerait du spectateur. Le sketch est le meilleur moyen d'évoquer non des personnages, mais leurs états à un moment où ils perdent leur personnalité pour devenir les archétypes d'une société hypocrite qui a tout sacrifié au paraître. La structure du sketch a aussi cet avantage qu'elle permet au spectateur de penser chaque histoire autour d'un gag à chute, forme très ludique qui évite à Risi de devoir utiliser un comique de répétition déjà expérimenté dans ses longs-métrages, tels que Le Fanfaron.

Le style visuel de Risi est donc naturellement voué à l'efficacité comique. Ses gros plans serrés sur des visages présomptueux préparent la révélation ultérieure d'un hors champ qui bousculera l'assurance des personnages, pour le plus grand plaisir d'un spectateur exaspéré par les fanfarons de tout poil. De la même façon, Risi excelle lorsqu'il filme dans de grands plans larges la course effrénée d'une voiture, plans qu'elle sillonne dans un bruitage assourdissant. Dans le cadre, la taille réduite du véhicule devient l'expression de la sensation abrutissante de vitesse qui donne à l'homme l'impression d'occuper l'espace, alors qu'en réalité, elle ne fait que l'en couper. Telle est l'illustration ô combien caustique d'une population italienne volontiers moralisatrice dans son discours, mais beaucoup moins dans ses actes !

Vincent Lesage