mercredi 9 novembre 2011

Brèves Rencontres de David Lean



Brève rencontre
De David Lean
Avec Celia Johnson, Trevor Howard

Durée : 1h36

Séance le jeudi 10 Novembre à 20 heures et le dimanche 13 Novembre à 18 heures au cinéma Les Cinéastes






Plus connus pour ses grandes fresques historiques (Lawrence d’Arabie, Le Pont de la rivière Kwai, Docteur Jivago), qui constituent la deuxième partie de son œuvre, David Lean a néanmoins commencé sa carrière avec des films d’ambition moindre, tant par leurs moyens que par l’ampleur de leurs sujets. Adaptée d’une pièce de théâtre en un acte de Noèl Coward, Brèves Rencontres semble être une de ces innombrables romances qui retracent le même genre d’histoire, celle d’un amour rendu impossible par les conventions sociales. Pourtant l’œuvre se démarque précisément par cette banalité. La pièce de Coward se déroulait intégralement dans le buffet d’une gare. C’est également le lieu central du film, là où il commence et où d’un point de vue symbolique, il se termine. Le film fonctionne ainsi en boucle, articulé autour d’un long flashback dont l’objectif est de nous faire comprendre les enjeux réels d’une scène apparemment quelconque : un homme et une femme boivent un café puis l’homme s’en va.
La « noblesse » de ce film tient au fait qu’il remet en cause tout jugement hâtif porté sur les gens ordinaires qui traversent le cadre. Il dévoile en quelque sorte le hors champ narratif des figurants. Le jeu sobre, minimaliste et particulièrement subtil des acteurs, n’a de cesse de figurer des personnages humains, proches de nous. A noter que Celia Johnson, l’actrice principale, en est alors à sa troisième collaboration avec le cinéaste, pour lequel elle représente une femme du quotidien, loin des canons hollywoodiens.
Une autre subtilité du film, est la voix Off qui accompagne les flashbacks et répond d’une certaine manière aux attentes du spectateur. L’écriture du film semble anticiper sa pensée. Comme dans cette scène où l’héroïne en proie à de puissantes émotions est assiégée par le flot de paroles d’une de ses amies. Le débit de la voix hors champs qui envahit son espace visuel et le cadre qui se resserre sur les visages, créent une sensation de claustrophobie. Dès que le spectateur s’en aperçoit, la voix Off déclare : « Je voudrais qu’elle se taise ». Dans cet idéal d’un cinéma populaire et néanmoins respectueux que Lean a toujours essayé d’atteindre, tout est fait pour rapprocher le spectateur des personnages.
Leur proximité tient aussi à l’abstraction que crée le cinéaste. Ses personnages évoluent dans un cadre temporel vague et des lieux publics. Il n’est de temps et d’espace que ceux des amants. Le style visuel du film est également d’une étonnante sobriété, et les rares effets stylistiques ne font que servir leurs pensées. Lorsque Celia Johnson oublie son environnement familial et plonge dans ses souvenirs amoureux, elle est toujours assise dans son canapé, mais un fondu fait disparaître le décor du salon et la transporte dans le buffet de la gare.
David Lean joue aussi habilement sur la temporalité. Son choix d’une narration non chronologique trouve une illustration dans la métaphore du train. Les amants se retrouvent chaque jeudi grâce au train, mais ces voyages « aller » ne sont pas filmés, contrairement aux voyages « retour » vers leur foyer respectif. Au fond, leur histoire n’est que la répétition d’une scène initiale qui n’aurait jamais dû s’arrêter. Ils savent pertinemment que leur relation est vouée à l’échec ; c’est pourquoi ils quittent inlassablement le lieu de leurs rencontres pour s’y retrouver de nouveau tout aussi inlassablement. Le film suggère l’obstination vaine du couple à figer les moments de rencontre. La mélancolie plane sur leurs moments d’intimité comme sur autant de séparations annoncées. Ces ellipses soulignent l’abolition d’un espace réel au profit d’un espace virtuel, celui du rêve, où les cuts et les raccords fondus font disparaître les distances.
Certes, l’aspect minimaliste du film peut déconcerter dans la filmographie de David Lean. Pourtant n’est-ce pas la façon la plus respectueuse et la plus délicate de filmer des personnages ordinaires que le cinéma échoue si souvent à rendre dignes d’intérêt ? Après tout, Lawrence d’Arabie, est-il un personnage extraordinaire ou plutôt un homme ordinaire embarqué dans les circonstances extraordinaires, non de l’amour mais de l’Histoire ?

Vincent Lesage

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