mardi 8 mai 2012

La Grande Illusion de Jean Renoir


La Grande Illusion
De Jean Renoir
Avec Jean Gabin, Pierre Fresnay, Erich Von Stroheim, Marcel Dalio
Durée 1h54
Séance le Jeudi 10 Mai à 19h30 et le Dimanche 13 Mai à 19h30


Sorti en 1937, La Grande Illusion témoigne du courage de Jean Renoir mais aussi de celui de Jean Gabin, interprète principal qui a joué de son prestige pour permettre la production de l'œuvre. Tandis que la rumeur d'un nouveau conflit armé se répand, le réalisateur tourne ce pamphlet antimilitariste qui célèbre la proximité des combattants par-delà les engagements des nations belligérantes de la première guerre mondiale. Ce film est un film de guerre sans scène de guerre. La guerre ne s'incarne que dans l'enferment physique des protagonistes au sein des camps de détention allemands, et dans l'enfermement psychologique que leur impose la haine patriotique de l'ennemi. Si l'enjeu apparent est l'évasion de la geôle, le film s'achève sur une ode à l'humanité capable de supplanter le patriotisme.

Dans un premier temps la mise en scène joue de la sensation de claustrophobie. Elle se réduit a des successions d'intérieurs où le quotidien des détenus prend des allures de vaudeville aussi incongru qu'oppressant. L'irrépressible désir de liberté transparaît à chaque instant sous les réjouissances de façade. Lorsque le militaire déguisé en femme arrive sur scène, c'est un silence tendu qui interrompt les plaisanteries gaillardes de la soirée de Noël. L'oppression culmine quand prévoyant de s'évader, les détenus creusent un boyau dans lequel ils peinent à se glisser et dont ils peinent à s'extraire, ou lorsque Jean Gabin alias Lieutenant Maréchal, mis au cachot pour avoir entonné la Marseillaise, pousse un hurlement de détresse qui déchire le ton enjoué du film.
Et puis les prisonniers sont transférés vers un autre camp. Le paysage défile au passage du train ; les images de lieux de détention se succèdent en fondu. La liberté semble impossible.

Enfin survient la double évasion. Double parce que deux personnages  tentent le tout pour le tout, double parce que physique et psychologique. C'est cette dernière dimension qui permet au film de changer radicalement de tonalité et de se libérer de lui-même en s'ouvrant sur le périple initiatique du Lieutenant Maréchal, symbole d'une France qui s'interroge sur la pertinence de la guerre. Contraint de quitter la femme allemande qui l'a hébergé, il doit son salut au scrupuleux respect par deux militaires ennemis, de la règle qui veut que l'on ne tire pas sur un évadé à portée de fusil dès lors qu'il a franchi la frontière, cette ligne invisible -d'autant plus invisible qu'elle est couverte de neige- mais néanmoins hautement symbolique.
La Grande illusion est un film humaniste au sens le plus noble du terme. La beauté des images toutes en lumières nuancées, en contrastes expressionnistes et en mouvements symboliques -en partie due à Claude Renoir neveu du cinéaste opérateur- sert l'idée de la possibilité d'un monde meilleur à l'issue des épreuves.

A ce discours s'ajoute une thèse sur les conséquences historiques du conflit qui s'est déroulé vingt ans plus tôt. Plus que la victoire de tel ou tel camp, c'est le bouleversement social engendré par cette période qui est au centre de l'œuvre. Le film repose en effet sur l'opposition entre des généraux issus d'une noblesse rentière et des gradés de rang inférieur venus des couches populaires, qu'ils soient militaires de carrière ou issus de familles entrepreneuriales. Sans verser dans la caricature, avec respect et nostalgie, Renoir évoque la chute du capitaine français de Boëldieu, incarné par Pierre Fresnay et du capitaine allemand Von Rauffenstein, incarné par Erich Von Stroheim, tous deux pétris de culture classique, de bonnes manières, hiératiques, mais dévoués et loyaux. Leurs échanges courtois, puis cordiaux, expriment un combat perdu d'avance, celui de ces fils de grandes familles, voués à promouvoir l'honneur de la patrie. Ils sont pourtant différents. L'habile de Boëldieu se sacrifiera pour ses hommes, anticipant de fait la mutation sociale. Le capitaine Von Rauffenstein, blessé de guerre au corps contraint dans un corset, gardera une posture de supérieur hiérarchique inflexible à l'égard de ses hommes qu'il considère arrivistes. La mise en scène illustre cette opposition, non sans humour, dans la scène où de Boëldieu distrait les forces allemandes en jouant de la flûte. Le montage associé à un éclairage nocturne le rendent insaisissable pour le spectateur, tandis que Von Rauffenstein fait d'abruptes apparitions soulignées par des effets d'ellipses. Dans un ultime travelling il contemple l'horizon, d'où il sait que viendra un monde nouveau, celui des évadés, celui du peuple. Dans la société qui renaît des cendres d'un conflit absurde, l'aristocratie n'a définitivement plus sa place.
Outre son immense valeur artistique, La grande illusion a force de témoignage historique et de plaidoyer humaniste. Sur les cendres de l'histoire Renoir espère l'avènement  d'un homme pacifié, que certains qualifieraient simplement d'humain.

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