1961
De Vincente Minnelli
Avec Glenn Ford, Ingrid Thulin, Charles Boyer
Vincente Minnelli est un cinéaste issu du milieu du spectacle. Lors de la période classique hollywoodienne, son talent pour la mise en scène de comédies musicales lui a rapidement permis de s'imposer aux studios.
Il cherche d'abord à enthousiasmer le public en le transportant au travers de longues scènes dansées et d'intrigues de cœur d'un minimalisme réjouissant. Mais tandis que le cinéma classique évolue, il semble prendre conscience de l'aspect trop superficiel de ses films. En 1952, dans Tous en scène - première complainte de la longue agonie de la comédie musicale - il ironise déjà sur son œuvre en filmant un Fred Astaire dont les producteurs se désintéressent, persuadés que la danse n'a plus sa place au cinéma. Minnelli s'efforce cependant de prolonger le rêve ; il trouve une fin heureuse à son histoire et fait dire à l'un de ses personnages que "le monde est une scène", un espace d'évasion. En 1962, lorsqu'il tourne Les Quatre Cavaliers de L'Apocalypse, Minnelli a compris qu'une scène peut aussi bien abriter un drame qu'une comédie.
Dès la scène d'ouverture de ce film, Minnelli tire un trait sur son œuvre passée. La joie de vivre d'une famille qui danse lors d'une fête, est un répit avant la tempête. Cette longue séquence n'est plus que l'ombre des shows dansés de ses films précédents. Certes, on retrouve ces longs plans fluides qui offrent aux interprètes une plus grande liberté de mouvement et ce sens de la composition qui centre les personnages principaux afin qu'ils n'échappent jamais au regard du spectateur. Sur fond de musique argentine, l'innocence semble toujours intacte. Mais les dialogues révèlent vite un trouble qui menace l'unité familiale. Le montage saccadé accentue le battement des claquettes qui transforme la musique enjouée en tambour de guerre.
Comme symbole de la perte de l'innocence, Minnelli choisit la seconde guerre mondiale, révélatrice d'une des faces les plus sombres de l'être humain. Dans ce monde déchiré, l'harmonie du cadre se délite, les membres de la famille devenus antagonistes, se répartissent dans le cadre, laissant la place centrale - celle du clown selon Minnelli - vide. La danse n'apparaîtra plus qu'à une seule occasion ; elle sera alors davantage acte de résistance que signe de divertissement.
Mais ce qui est remarquable, c'est que Minnelli ne renonce pas à sa mise en scène statique, autrefois animée par la vivacité des danseurs. Ici les interprètes se déplacent peu, quand ils ne sont pas figés par des événements qui les écrasent, comme en témoigne le superbe plan final où le héros reste immobile alors que derrière lui l'apocalypse se prépare. Selon Minnelli, l'horreur de la guerre vient de l'impuissance de chacun à y mettre un terme. Le personnage principal se satisfait d'abord de cette impuissance ; il s'enferme dans une bulle mentale où seules ont leur place, l'art et les femmes. Mais lorsque son entourage se délite et que ses proches disparaissent, il prend conscience de sa faiblesse. Dans les longues scènes de discussion, l'échelle de plan le réduit à une simple silhouette qui s'agite dans un cadre désespérément fixe et inerte. Le spectateur comprend le désarroi de ce personnage qui semble un double du réalisateur, transposé dans une période où la joie de vivre s'avère souvent futile. Puis le personnage se résigne ; en témoigne cette scène où après avoir perdu un de ses proches il reste immobile sur un pont, dans un plan large, tournant le dos à la caméra, comme honteux de son incapacité à préserver les siens. Il est alors dans un entre-deux, ni dans l'action car incapable de lutter, ni dans l'inconscience joyeuse.
Cette sensation d'écrasement, le réalisateur l'accentue par l'apparition récurrente des quatre cavaliers de l'apocalypse, silhouettes sombres dans un ciel enflammé. Ces visions qui rythment le film, évoquent, au même titre que la rigidité de la mise en scène, l'homme en prise avec des forces qui le dépassent et l'écrasent. La tentation du déni est forte. Mais chaque tentative d'oubli de la guerre est sanctionnée par une vision cauchemardesque qui suscite l'indignation du héros et le conduit à sortir de sa neutralité. Ainsi, lorsque le personnage principal coule des jours heureux avec sa maîtresse, revient la silhouette décharnée du mari dont le corps a subi les affres de la torture nazie. Le constat amer qui s'est imposé à Minnelli s'impose alors au spectateur, l'humanité a perdu son Eden ; elle est désormais condamnée à vivre dans la tourmente et prendre parti.
Réduits à des figures immobiles et impuissantes condamnées à la destruction par des forces qui les dépassent, les personnages des Quatre Cavaliers de l'Apocalypse ressemblent aux figures tragiques d'une pièce de Shakespeare qui écrivait déjà bien avant Minnelli : "Le monde entier est un théâtre, et tous, hommes et femmes, n'en sont que les acteurs".
Vincent Lesage
De Vincente Minnelli
Avec Glenn Ford, Ingrid Thulin, Charles Boyer
Vincente Minnelli est un cinéaste issu du milieu du spectacle. Lors de la période classique hollywoodienne, son talent pour la mise en scène de comédies musicales lui a rapidement permis de s'imposer aux studios.
Il cherche d'abord à enthousiasmer le public en le transportant au travers de longues scènes dansées et d'intrigues de cœur d'un minimalisme réjouissant. Mais tandis que le cinéma classique évolue, il semble prendre conscience de l'aspect trop superficiel de ses films. En 1952, dans Tous en scène - première complainte de la longue agonie de la comédie musicale - il ironise déjà sur son œuvre en filmant un Fred Astaire dont les producteurs se désintéressent, persuadés que la danse n'a plus sa place au cinéma. Minnelli s'efforce cependant de prolonger le rêve ; il trouve une fin heureuse à son histoire et fait dire à l'un de ses personnages que "le monde est une scène", un espace d'évasion. En 1962, lorsqu'il tourne Les Quatre Cavaliers de L'Apocalypse, Minnelli a compris qu'une scène peut aussi bien abriter un drame qu'une comédie.
Dès la scène d'ouverture de ce film, Minnelli tire un trait sur son œuvre passée. La joie de vivre d'une famille qui danse lors d'une fête, est un répit avant la tempête. Cette longue séquence n'est plus que l'ombre des shows dansés de ses films précédents. Certes, on retrouve ces longs plans fluides qui offrent aux interprètes une plus grande liberté de mouvement et ce sens de la composition qui centre les personnages principaux afin qu'ils n'échappent jamais au regard du spectateur. Sur fond de musique argentine, l'innocence semble toujours intacte. Mais les dialogues révèlent vite un trouble qui menace l'unité familiale. Le montage saccadé accentue le battement des claquettes qui transforme la musique enjouée en tambour de guerre.
Comme symbole de la perte de l'innocence, Minnelli choisit la seconde guerre mondiale, révélatrice d'une des faces les plus sombres de l'être humain. Dans ce monde déchiré, l'harmonie du cadre se délite, les membres de la famille devenus antagonistes, se répartissent dans le cadre, laissant la place centrale - celle du clown selon Minnelli - vide. La danse n'apparaîtra plus qu'à une seule occasion ; elle sera alors davantage acte de résistance que signe de divertissement.
Mais ce qui est remarquable, c'est que Minnelli ne renonce pas à sa mise en scène statique, autrefois animée par la vivacité des danseurs. Ici les interprètes se déplacent peu, quand ils ne sont pas figés par des événements qui les écrasent, comme en témoigne le superbe plan final où le héros reste immobile alors que derrière lui l'apocalypse se prépare. Selon Minnelli, l'horreur de la guerre vient de l'impuissance de chacun à y mettre un terme. Le personnage principal se satisfait d'abord de cette impuissance ; il s'enferme dans une bulle mentale où seules ont leur place, l'art et les femmes. Mais lorsque son entourage se délite et que ses proches disparaissent, il prend conscience de sa faiblesse. Dans les longues scènes de discussion, l'échelle de plan le réduit à une simple silhouette qui s'agite dans un cadre désespérément fixe et inerte. Le spectateur comprend le désarroi de ce personnage qui semble un double du réalisateur, transposé dans une période où la joie de vivre s'avère souvent futile. Puis le personnage se résigne ; en témoigne cette scène où après avoir perdu un de ses proches il reste immobile sur un pont, dans un plan large, tournant le dos à la caméra, comme honteux de son incapacité à préserver les siens. Il est alors dans un entre-deux, ni dans l'action car incapable de lutter, ni dans l'inconscience joyeuse.
Cette sensation d'écrasement, le réalisateur l'accentue par l'apparition récurrente des quatre cavaliers de l'apocalypse, silhouettes sombres dans un ciel enflammé. Ces visions qui rythment le film, évoquent, au même titre que la rigidité de la mise en scène, l'homme en prise avec des forces qui le dépassent et l'écrasent. La tentation du déni est forte. Mais chaque tentative d'oubli de la guerre est sanctionnée par une vision cauchemardesque qui suscite l'indignation du héros et le conduit à sortir de sa neutralité. Ainsi, lorsque le personnage principal coule des jours heureux avec sa maîtresse, revient la silhouette décharnée du mari dont le corps a subi les affres de la torture nazie. Le constat amer qui s'est imposé à Minnelli s'impose alors au spectateur, l'humanité a perdu son Eden ; elle est désormais condamnée à vivre dans la tourmente et prendre parti.
Réduits à des figures immobiles et impuissantes condamnées à la destruction par des forces qui les dépassent, les personnages des Quatre Cavaliers de l'Apocalypse ressemblent aux figures tragiques d'une pièce de Shakespeare qui écrivait déjà bien avant Minnelli : "Le monde entier est un théâtre, et tous, hommes et femmes, n'en sont que les acteurs".
Vincent Lesage
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