De Michael Powell et Emerich Pressburger
Avec Roger Livesey, Deborah Kerr, Anton Walbrook
Durée :2h43
Séances Jeudi 13 Septembre à 20 heures et Dimanche 16 Septembre à 18 heures aux Cinéastes
Powell, véritable réalisateur du
film (Pressburger se cantonnant au scénario), utilise le technicolor pour créer
un style pictural qui confine le récit dans une ambiance victorienne, charmante
et désuète, à l'image de son personnage principal. Pourtant, l'action se
déroule sur près de soixante ans. Blimp reste figé dans la posture des
officiers de ses débuts de carrière, profondément attachés aux valeurs de
courage, de professionnalisme et d'honneur des militaires du XIXème, qui
limitent l'étendue et la violence des guerres. Dès qu'il est transporté sur les
lieux de la Première Guerre Mondiale, il est immédiatement anachronique,
incapable de s'adapter à la totalisation du conflit et à sa radicale
brutalisation. Plongés dans la haine ambiante de l'entre-deux guerres, puis
dans l'horreur de la Seconde Guerre Mondiale, il s'avère complètement dépassé.
D'où un double vieillissement du personnage, à la fois temporel et moral. Les rides
de son visage sont comme autant de coups de couteaux portés aux valeurs en
lesquelles il croît. Si le film est particulièrement subversif, c'est parce
qu'il affiche une réalité que masque la propagande : les deux camps
s'affrontent désormais dans une guerre totale, qui n'oppose plus seulement des
armées mais bien des nations.
D'abord picaresque et comique, le
ton du film se fait dramatique avant d'adopter un cynisme de farce. Mais jamais
il n'abandonne son ambiance onirique, celle de l'apparition de Deborah Kerr
sous l'identité de trois personnages, celle d'un couvent radieux au milieu d'un
champ de ruines, celle d'une maquette de ville enneigée qui se substitue à un
fatidique duel dont la caméra se désintéresse comme par enchantement en passant
à travers le toit, celle des trophées de chasse qui comme par magie s'accrochent
au mur au fur et à mesure du temps qui passe. Autant de touches, qui dédramatisent
l'histoire et suggèrent les efforts du personnage principal pour accepter
l'avènement d'une nouvelle époque. Quitte à la déréaliser, il s'obstine à y discerner
les traits du bon vieux temps. L'amour de jeunesse qu'il ne peut oublier, cette
figure d'une femme radieuse qui a scellé l'amitié de deux officiers anglais et
allemand en dépit des conflits d'Etats, est aussi à voir sous cet angle d'un
idéal perdu.
L'amitié entre les deux officiers
nuance la peinture des relations germano-britanniques. Tandis que les Anglais
assimilent volontiers le peuple ennemi à un peuple de Nazis - thèse qui permet
de justifier les bombardements en Allemagne - le film présente un officier allemand
désabusé. Theo Kretschmar-Schuldorff qui fut un patriote acharné lors de la Première
Guerre Mondiale, désavoue Hitler et tous ceux qui le soutiennent. Dans un long
plan séquence, lorsqu'il demande le statut de réfugié, il est d'abord filmé en
un plan large qui l'oppose aux autorités britanniques, puis la caméra se
rapproche progressivement de lui. Reste alors en gros plan un homme humble qui
raconte sa vie et sollicite une aide.
Cette vision nuancée du peuple allemand
va de pair avec la dénonciation de l'outrancière propagande britannique visant
à dénigrer l'Allemagne lors de la Première Guerre Mondiale. Propagande
illustrée par une succession de plans sur des trophées de chasse, auxquels vient
s'ajouter un casque allemand, comme si le soldat ennemi n'était qu'un animal
parmi d'autres. L'audace du réalisateur culmine
probablement dans la critique des interrogatoires menés sur le front par les Anglais
et auxquels Blimp refuse de recourir quitte à perdre la guerre.
Pour compréhensibles qu'ils
soient, ces interrogatoires n'en prolongent pas moins le processus de
brutalisation du conflit armé, brutalisation qui semble vieillir le Colonel. Et
au travers de Blimp, c'est l'Angleterre tout entière qui vieillit, s'éloignant
des querelles européennes du 19ème, pour se confronter aux totalitarismes du
20ème. Contre eux, la victoire ne sera possible qu'en sacrifiant ce qui lui
reste de ses principes d'antan.
Vincent Lesage