Avec Gene Kelly, Cyd Charisse, Van Johnson
Durée : 1h48
Séance le jeudi 8 septembre et le dimanche 11 septembre
Les comédies musicales de Minnelli sont intéressantes car elles s'affranchissent avec grâce et élégance de l'hégémonie des canons stylistiques hollywoodiens sans pour autant les renier.
Brigadoon est d'emblée intégré à cette fameuse industrie du rêve. La photographie privilégie une composition picturale qui déréalise l'environnement : l'usage du technicolor transforme toutes les teintes naturelles en teintes pastels tandis que les cadrages en plan large mettent en valeur un décor bucolique. Le casting témoigne lui aussi de l'influence des studios ; il fait la part belle à des acteurs très populaires dont le physique permet au spectateur de saisir immédiatement la nature archétypale des personnages. Nous goûtons une œuvre dénuée de toute prise de risque, qui s'apparente à un pur divertissement de forme classique employant comme base scénaristique une comédie musicale à succès. En ce sens Brigadoon apparaît comme une composition innocente. Pourtant le réalisateur intègre certains effets stylistiques qui en font d'un film personnel. L'originalité de Minnelli se manifeste au travers de son goût pour le monde du spectacle. Il pense le cadre comme un décor d'opéra. Il étire les plans sans les découper, jusqu'à la limite du plan séquence, afin de privilégier une vision globale des événements. L'organisation opératique des scènes est également liée au fait que les relations entre les personnages sont avant tout suggérées par la place qu'ils occupent dans le cadre. Ainsi les rapports des deux chasseurs dans le paradis perdu qu'est Brigadoon, s'expriment par leurs positions dans les plans : Van Johnson qui refuse d'accepter la réalité du lieu est souvent en amorce, à la frontière du cadre, alors que Gene Kelly, qui ne demande qu'à y rester, n'a de cesse de s'enfoncer dans la profondeur de champ. De la même façon, les personnages qui s'accordent sur les événements sont unis dans le même cadre et séparés de leurs opposants par le montage. Cet effet est visible dans la scène du mariage, lorsqu'un trouble-fête est arrêté, puis comme sorti de force du plan d'ensemble.
La patte de Minnelli s'apprécie également dans son rapport complexe au temps. Le sujet du film : un village qui ne vit qu'un jour tous les cent ans, pose de manière métaphorique la question de l'ellipse. Dans le cinéma hollywoodien, le temps dépourvu d'évènement - quelle que soit sa durée - est généralement passé sous silence, du simple fait qu'il présente un état stable des choses. Minnelli lui, exalte le moindre moment d'existence offert aux habitants de Brigadoon, en adoptant une approche contemplative. Le bonheur réside dans chaque instant de vie aussi simple soit-elle. Il expose ainsi une scène de marché qu'il dilate à l'envi dans des scènes purement dansées, usant de travellings et panoramiques lents qui accompagnent les chorégraphies. Ce type de scène devient dès lors l'expression d'un bonheur qui distillé tous les cent ans, doit être magnifié ; il est donc vécu en temps réel, sans qu'aucune seconde de la relation entre Gene Kelly et Cyd Charisse n'échappe au spectateur.
Brigadoon est d'emblée intégré à cette fameuse industrie du rêve. La photographie privilégie une composition picturale qui déréalise l'environnement : l'usage du technicolor transforme toutes les teintes naturelles en teintes pastels tandis que les cadrages en plan large mettent en valeur un décor bucolique. Le casting témoigne lui aussi de l'influence des studios ; il fait la part belle à des acteurs très populaires dont le physique permet au spectateur de saisir immédiatement la nature archétypale des personnages. Nous goûtons une œuvre dénuée de toute prise de risque, qui s'apparente à un pur divertissement de forme classique employant comme base scénaristique une comédie musicale à succès. En ce sens Brigadoon apparaît comme une composition innocente. Pourtant le réalisateur intègre certains effets stylistiques qui en font d'un film personnel. L'originalité de Minnelli se manifeste au travers de son goût pour le monde du spectacle. Il pense le cadre comme un décor d'opéra. Il étire les plans sans les découper, jusqu'à la limite du plan séquence, afin de privilégier une vision globale des événements. L'organisation opératique des scènes est également liée au fait que les relations entre les personnages sont avant tout suggérées par la place qu'ils occupent dans le cadre. Ainsi les rapports des deux chasseurs dans le paradis perdu qu'est Brigadoon, s'expriment par leurs positions dans les plans : Van Johnson qui refuse d'accepter la réalité du lieu est souvent en amorce, à la frontière du cadre, alors que Gene Kelly, qui ne demande qu'à y rester, n'a de cesse de s'enfoncer dans la profondeur de champ. De la même façon, les personnages qui s'accordent sur les événements sont unis dans le même cadre et séparés de leurs opposants par le montage. Cet effet est visible dans la scène du mariage, lorsqu'un trouble-fête est arrêté, puis comme sorti de force du plan d'ensemble.
La patte de Minnelli s'apprécie également dans son rapport complexe au temps. Le sujet du film : un village qui ne vit qu'un jour tous les cent ans, pose de manière métaphorique la question de l'ellipse. Dans le cinéma hollywoodien, le temps dépourvu d'évènement - quelle que soit sa durée - est généralement passé sous silence, du simple fait qu'il présente un état stable des choses. Minnelli lui, exalte le moindre moment d'existence offert aux habitants de Brigadoon, en adoptant une approche contemplative. Le bonheur réside dans chaque instant de vie aussi simple soit-elle. Il expose ainsi une scène de marché qu'il dilate à l'envi dans des scènes purement dansées, usant de travellings et panoramiques lents qui accompagnent les chorégraphies. Ce type de scène devient dès lors l'expression d'un bonheur qui distillé tous les cent ans, doit être magnifié ; il est donc vécu en temps réel, sans qu'aucune seconde de la relation entre Gene Kelly et Cyd Charisse n'échappe au spectateur.
A l'inverse, la plupart des éléments perturbateurs du récit sont rapidement traités. Le portrait psychologique du jaloux doublé d'un traitre est résumé en une discussion et le retour à New York, évoqué en quelques images. Ce rapport entre deux dimensions temporelles devient particulièrement intéressant lorsque l'on comprend que le temps exalté est celui de la danse et du chant, tandis que le temps réprimé est celui du récit. La démarche de Minnelli s'approche d'un expérimentalisme formel ; elle permet de reconsidérer l'originalité d'un auteur trop souvent considéré comme un simple faiseur.
Le décalage temporel, Minnelli le renforce grâce à l'emploi du son. Ainsi, la scène de chasse à l'homme, rendue onirique par la chorégraphie de la course poursuite, est subitement interrompue par un coup de fusil meurtrier. Le tir devient la métaphore d'une réalité cruelle. La narration se substitue brutalement au spectacle visuel, rappelant que la poésie ne pourra éternellement dédramatiser son objet, ici la chasse. On retrouve un usage aussi subtil du son, lorsqu'à New York, Gene Kelly s'écarte du rythme effréné d'un dîner en société - symbolisé en plans larges saturés par la foule - et retourne dans le passé en se remémorant les chansons qu'il a entendues à Brigadoon. L'abstraction sonore de la chanson devient pour le héros, un moyen d'échapper à un quotidien fait d'incidents, celui-là même duquel Minnelli tente de s'écarter pour fuir les sentiers battus du cinéma hollywoodien classique. A ce titre Minnelli abolit les liens qui relient habituellement les scènes au cadre diégétique. Il conçoit certains moments comme de purs prétextes à la danse, tel le long passage de cueillette de la bruyère, qui lui permet de faire évoluer ses comédiens dans de nouveaux décors. Les scènes gagnent ainsi une tonalité irréelle. L'onirisme est pour Minnelli la meilleure façon de promouvoir certaines de ses idées en désaccord avec les valeurs traditionnelles américaines. Grâce à lui, la priorité est donnée à l'amour plutôt qu'à la création d'un foyer conjugal et au maintien d'une position sociale confortable.
L'air de ne pas y toucher, sous prétexte de fantaisie artistique, Minnelli ose subvertir la machine à rêves hollywoodienne finalement très terre à terre !
Le décalage temporel, Minnelli le renforce grâce à l'emploi du son. Ainsi, la scène de chasse à l'homme, rendue onirique par la chorégraphie de la course poursuite, est subitement interrompue par un coup de fusil meurtrier. Le tir devient la métaphore d'une réalité cruelle. La narration se substitue brutalement au spectacle visuel, rappelant que la poésie ne pourra éternellement dédramatiser son objet, ici la chasse. On retrouve un usage aussi subtil du son, lorsqu'à New York, Gene Kelly s'écarte du rythme effréné d'un dîner en société - symbolisé en plans larges saturés par la foule - et retourne dans le passé en se remémorant les chansons qu'il a entendues à Brigadoon. L'abstraction sonore de la chanson devient pour le héros, un moyen d'échapper à un quotidien fait d'incidents, celui-là même duquel Minnelli tente de s'écarter pour fuir les sentiers battus du cinéma hollywoodien classique. A ce titre Minnelli abolit les liens qui relient habituellement les scènes au cadre diégétique. Il conçoit certains moments comme de purs prétextes à la danse, tel le long passage de cueillette de la bruyère, qui lui permet de faire évoluer ses comédiens dans de nouveaux décors. Les scènes gagnent ainsi une tonalité irréelle. L'onirisme est pour Minnelli la meilleure façon de promouvoir certaines de ses idées en désaccord avec les valeurs traditionnelles américaines. Grâce à lui, la priorité est donnée à l'amour plutôt qu'à la création d'un foyer conjugal et au maintien d'une position sociale confortable.
L'air de ne pas y toucher, sous prétexte de fantaisie artistique, Minnelli ose subvertir la machine à rêves hollywoodienne finalement très terre à terre !
Vincent Lesage